Gel 101
par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
J’ai déjà comparé le gel des droits de scolarité à de la peinture sur de la rouille : ça cache le problème, tout en l’empirant.
Disons toutefois que certains gels sont moins pires que d’autres. Essentiellement, on en distingue deux types : le gel financé et le gel non-financé.
Et une chose importante dont il faut se souvenir, c’est que, gel ou pas, les coûts d’opération (salaires, services, entretien, réparation, chauffage, électricité, eau, etc.) augmentent d’environ 4% par année dans le milieu universitaire. Les salaires augmentent – en principe – chaque année, et le coût de tout le reste est ajusté annuellement, comme pour les particuliers.
Un gel financé, c’est une situation où les droits de scolarité n’augmentent pas, mais le gouvernement augmente son investissement dans les universités, ce qui a pour effet de combler le manque à gagner causé par la perte de revenus. Les universités sont alors capables de maintenir leurs services malgré les coûts qui augmentent, tout en ne demandant pas aux étudiant(e)s de payer davantage.
Un gel non-financé, c’est un gel des droits de scolarité auquel s’ajoute un gel des subventions gouvernementales, ce qui fait que les universités doivent trouver d’autres moyens de combler le manque à gagner.
Étant donné que les subventions et les droits de scolarité représentent les principales sources de financement des universités, l’option la plus évidente devient la réduction des coûts d’opération, ce qui se fait par le biais de coupures.
Il y a du gras à couper, oui sans doute, mais y en a-t-il en quantité suffisante?
À l’Université de Moncton, le Conseil des Gouverneurs (CGV) a accepté un budget déficitaire pour l’année 2015-2016 : en raison sans doute du peu de temps accordé aux administrateurs pour réagir à l’annonce du gouvernement (10 jours avant le dépôt du budget universitaire), mais également pour lancer un message fort au gouvernement, on a choisi de ne pas aller chercher les 1 035 000$ manquants dans la poche des étudiants, ce qui aurait pu être fait par le biais des frais afférents, ou par une augmentation des droits de scolarité des étudiant(e)s internationaux, qui ne sont pas règlementés par la province.
Le budget aurait pu être balancé, en théorie, en allant chercher 242$ sur chacune des 4280 inscriptions prévues (pour les chiffres voir FÉÉCUM), sous la forme, disons, d’un frais d’amélioration des espaces qui n’existe pas à l’Université de Moncton et qui est très commun ailleurs. Des frais du genre, il en existe d’autres, et des meilleurs – l’Ontario est championne à ce jeu (OUSA).
Il faut savoir reconnaître ce geste qui, il faut le dire, nous a pris par surprise mais qui est néanmoins grandement apprécié.
Mais déjà, on entend le recteur Raymond Théberge avertir qui veut l’entendre que le dégel s’en vient (c’est un peu comme Game of Thrones, mais à l’envers), et que l’impact ne manquera pas de se faire sentir.
Il a raison de le faire, d’ailleurs.
Lors du dernier gel des droits de scolarité au N-B, entre 2007-2008 et 2010-2011, le dégel a engendré une hausse des droits de scolarité de 14% sur les 4 années suivantes, soit une augmentation de 778$ au niveau provincial et de 684$ à l’Université de Moncton (CESPM). À l’époque, les étudiant(e)s internationaux n’ont subi d’augmentation qu’à la dernière année du gel, à Moncton du moins.
Je vous rappelle qu’il s’agissait alors d’un gel financé.
Si vous en êtes à la dernière année de votre programme d’études, vous avez peut-être raison de vous réjouir de ce gel, mais pour celles et ceux qui viennent après vous il n’est pas de si bon augure. Difficile de prédire quel en sera l’impact, car du moins à Moncton des mesures de réduction des coûts ont déjà réduit considérablement l’impact du double gel : on s’attendait à un déficit de plus de 6 millions et on a réussi à le limiter à un peu plus de 1 million. L’impact direct du double gel est ainsi limité à 360 000$, du moins pour l’instant (UMoncton).
Le 11 avril, le recteur a déclaré que l’impact direct de la décision du gouvernement provincial était plutôt de l’ordre de 1,9 millions$ (UMoncton), alors je crois qu’il convient de se garder une petite gêne. Sans diminuer les efforts de l’administration, ses défis sont à tout le moins aussi importants.
Il faut dire qu’une grande part des économies (projetées) dépend du gel de la masse salariale de l’Université pour l’année 2015-2016, qui se limite pour l‘instant à un gel salarial des cadres supérieurs et administratifs. L’ABPPUM est encore à négocier avec l’institution sa prochaine convention collective, et on peut douter de son enthousiasme à se plier aux demandes de l’administration en ce sens…
Car en situation de gel de la masse salariale, deux possibilités existent : l’augmentation du salaire des profs, mais la réduction du nombre de postes, ou le maintien de l’un et l’autre. Puisque le plancher d’emploi est un enjeu dominant des négociations du côté de l’ABPPUM, la deuxième éventualité semblerait préférable, mais de là à renoncer à une augmentation salariale?
Ça reste à voir, et les négociations se poursuivent pour le moment.
D’autres mesures de réduction des coûts, dont l’élimination de postes-cadres, le non-remplacement de postes réguliers et temporaires et la réduction des budgets de matériel et services ont également contribué à assainir les finances de l’Université. Ce sont toutes des mesures décidées avant l’annonce du double gel par le gouvernement provincial.
Alors, quel sera l’impact du dégel? On se le demande : sans remettre en cause l’avenir de l’Université, le mantra du recteur ces derniers jours est que «L’Université doit se structurer en fonction de ses moyens» (Radio-Canada).
Qui vivra verra.