Programme SEED : le corps et le nombril
Texte de réflexion par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets.
On a eu droit récemment à une rareté : des excuses d’un ministre en poste (et qui le demeure) pour la manière dont son ministère a géré un dossier. Il faut le dire, ce pourquoi Donald Arseneault, ministre de l’éducation postsecondaire, de la formation et du travail, s’excuse, c’est en fait la gestion du dossier des changements au programme SEED par celle qui l’a précédé à ce poste (FÉÉCUM). Mais bon, il dit qu’on peut faire mieux, et c’est déjà quelque chose.
Entre autres, le ministre a reconnu que l’annonce tardive des changements a provoqué la confusion tant chez les étudiant.e.s que chez les employeurs. Les organismes sans but lucratif (OSBL) ont été particulièrement déstabilisés (Radio-Canada).
Chez les étudiant.e.s, on a surtout entendu des frustrations quant à la manière dont les placements d’emploi SEED (coupons) étaient remis, sur le manque de clarté quant à leur fonctionnement, ainsi que sur l’incertitude entourant la liste d’attente. Certains ont rapporté avoir perdu un emploi à une personne moins qualifiée qui avait reçu un coupon SEED. Ça pose la question de l’impact du programme sur la valeur du mérite.
Car quel employeur refusera un employé gratis à 35h/semaine?
Sans nier les difficultés éprouvées par certains, peu d’objections ont surgi quant aux changements apportés, qui placent l’essentiel du pouvoir entre les mains étudiantes. Ce qui peut faire grincer des dents, c’est l’admissibilité du secteur privé aux fonds SEED, presque sans restrictions (GNB). La raison en est que le secteur privé, générateur de profits, a en principe les moyens d’embaucher sans aide extérieure.
Bref, malgré beaucoup de confusion au départ, les choses semblent avoir été plutôt positives : le programme SEED a soutenu la création de 2000 emplois l’été dernier – un record – dont 78% dans des OSBL (Radio-Canada).
Cependant, le ministre Arseneault flotte déjà des ballons d’essai en vue de sa prochaine tournée de consultations, qui portera sur l’amélioration du programme.
Le principal nœud de discorde est la question de l’admissibilité du secteur privé à SEED, qui désavantagerait les OSBL. Le ministre suggère déjà deux pistes de solution pour niveler le terrain (Radio-Canada) :
1) Le gouvernement paie les 8 premières semaines, mais l’employeur doit en offrir 4 à 6 de plus pour être admissible, ou;
2) Le gouvernement paie le salaire minimum, mais l’employeur doit en donner davantage pour être admissible.
Ne remettons pas en question les bonnes intentions du ministre, ni l’avantage que ces suggestions présentent pour les étudiant.e.s qui vont se ruer aux portes du secteur privé si elles devaient être mises en effet. On serait fou de faire le contraire.
Mais, à moins que le gouvernement provincial ne consente à bonifier les salaires subventionnés dans les OSBL pour atteindre la parité avec l’offre du secteur privé une fois le supplément (temps, ou salaire) ajouté, les plaintes entendues cette année se répèteront l’année prochaine. Et en pire. Toutefois, un salaire SEED plus élevé dans les OSBL signifierait forcément moins d’emplois en bout de ligne. Combien d’emplois? Ça dépendrait du salaire ciblé. 15$ de l’heure partout, ça serait-tu pas nice (FÉÉCUM)?
Ce qui nous laisse le choix entre : plus d’emplois au salaire minimum ou moins d’emploi à un meilleur salaire. Ce qui affecte directement les étudiant.e.s avec SEED s’arrête à peu près là. Ou du moins, ce que le gouvernement est en mesure de contrôler.
La question de l’offre régionale demeure en suspens. Est-ce que les étudiant.e.s ont accès à des emplois dans leur domaine d’études ET dans leur région de résidence permanente, ce qui permet de limiter les dépenses durant la période estivale? Parce qu’une job à Moncton ou St-Jean, c’est bien joli, mais si on doit payer un loyer dans la région pour y accéder, une bonne part du salaire s’envole.
On se posait donc la question à savoir si les quotas régionaux d’emplois SEED visaient seulement la remise des coupons et pas forcément leur réception par l’employeur (FÉÉCUM), et je crois qu’on est désormais mieux en mesure d’y répondre.
Au lendemain d’une entrevue où l’animateur Michel Doucet a cité une source disant que 75% des emplois SEED ont été donnés dans les régions de Moncton, Fredericton et St-Jean, le site web de Radio-Canada propose un article nous montrant quel pourcentage des emplois SEED ont été occupés dans les principales villes de la province. Donald Arseneault, qui avait nié en entrevue tout en disant avoir les chiffres à l’appui, les aura donc communiqués tel que promis. La transparence est rarement une mauvaise chose.
On constate ainsi que Moncton, Fredericton et St-Jean auraient en fait reçu 73% des emplois SEED (ce qui ne signifie pas 73% des coupons : attention), d’après un sondage mené par le gouvernement provincial (Radio-Canada).
Il serait intéressant de voir une liste détaillée des emplois subventionnés dans ces villes, car il faut admettre que 23% des emplois du programme SEED dans la région de St-Jean soulève certaines, disons, questions. Surtout considérant que les villes du Nord de la province (Edmundston, Bathurst, la Péninsule et Miramichi) ont reçu un total combiné de 27% des emplois SEED.
La présence d’institutions postsecondaires dans ces villes explique en partie la tendance : les étudiant.e.s pourraient recevoir un billet dans leur région mais choisir de demeurer dans leur ville d’adoption pendant l’été.
Alors là, on se retrouve avec un programme SEED qui serait non seulement problématique pour les OSBL, mais injuste envers le Nord de la province? Il y a moins de population et moins d’entreprises dans cette région, alors toute notion d’équitabilité sera une question de proportion. À n’en pas douter cependant, des billets remis dans le Nord auront pu être encaissés dans le Sud. SEED n’empêche pas que ça se produise, car ce choix est celui de l’étudiant.e en bout de ligne.
On en revient à la question fondamentale : si le programme SEED est conçu pour donner aux étudiant.e.s du secteur postsecondaire de l’expérience susceptible de faciliter leur transition vers le marché de l’emploi après la fin des études, ce qu’il réussit à faire, est-ce que le reste est un problème?
C’est un cas de conscience; à quel point les étudiant.e.s sont prêt.e.s à fermer les yeux sur les implications socioéconomiques du programme SEED, dans la mesure où, peu importe ce qui se produira, l’emploi de qui obtient son coupon demeure assuré?
Et quel poids accorderiez-vous à votre conscience, avec une dette étudiante moyenne de 35 200$, je vous le demande (FÉÉCUM)?
Alors oui, on peut faire mieux avec SEED, mais pour qui, et pourquoi? Ce n’est pas clair. Et tant qu’on se limite à l’impact immédiat de toute chose sur notre personne, ce sera difficile de trouver réponse à la question.
Difficile de voir à la santé du corps en ne soignant que le nombril.
NOTE : Une version précédente du texte citait erronément 3% des emplois SEED à Fredericton et 46% des emplois accordés dans le Sud de la province, et postulait que 27% des emplois (jugés manquants) avaient dû être octroyés dans les DSL du N-B. Le texte a été ajusté en conséquence. Nous nous excusons de toute confusion engendrée par cette erreur.
Texte de réflexion - aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être nécessairement interprétée.