Réveillons les blasés
Texte de réflexion par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets.
À défaut de redorer les blasons en fait de financement de l’éducation postsecondaire (EPS), réveillons les blasés.
Ça c’est vous, c’est moi, c’est tout le monde qui regarde la nouvelle de l’augmentation et qui se dit : « Bof. M’en fous. J’peux rien faire pour changer ça, anyway. » (Radio-Canada).
Évidemment, ça va encore mal dans les Maritimes, pas de surprise cette année.
À chaque rentrée universitaire, Statistique Canada produit un ensemble de tableaux qui nous montre le coût de la scolarité dans les provinces canadiennes, les hausses, les frais supplémentaires, etc. dans le but de comparer la situation à l’échelle du pays et de se donner une vue d’ensemble de la situation.
Il est facile de regarder ces tableaux et de se situer relativement aux autres provinces, puis de se dire que dans le fond, le N-B ne fait pas si pire que ça. J’veux dire, y’en a devant nous et y’en a derrière. Cependant, quand on prend la peine de croiser les données sur les droits de scolarité avec d’autres données, cette « évidence » devient tout sauf.
Dans l’ensemble, le N-B se place au 4e rang derrière l’Ontario, la Nouvelle-Écosse et la Saskatchewan au chapitre des droits de scolarité moyens les plus élevés au pays. La plupart des lecteurs s’arrêteront là.
Dans l’ordre pour 2016-2017, ça nous donne :
Comment s’expliquer que la scolarité soit aussi chère dans les Maritimes, quand on voit que des provinces comme l’Alberta et la Colombie-Britannique, où en principe la population a davantage de moyens, offre néanmoins la scolarité à plus ou moins 1000$ de moins par année que chez nous, les parents pauvres du Canada? Cela s’explique en partie en regardant du côté des revenus. On parle de provinces au revenu plus élevé, et qui donc disposent de plus de ressources en termes de fonds publics. Plus d’argent qui rentre = plus d’argent qui sort, règle générale.
Résultat : les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent.
Dans le cas du Manitoba, du Québec et de T-N-L, le niveau de financement accordé à l’éducation postsecondaire est tout simplement supérieur. Les pratiques varient : T-N-L maintient un gel des droits de scolarité depuis 1999 (FÉÉCUM); le Manitoba a gelé les droits de scolarité entre 1999 et 2009, puis a indexé la hausse des droits de scolarité au taux d’inflation par après; le Québec a un régime fiscal conçu pour soutenir des services publics bien plus développés que ceux du reste du pays (Ministère des Finances), qui s’inscrit dans la tradition fiscale française plutôt que britannique.
La dernière enquête sur le revenu des Canadiens conduite par Statistique Canada nous montre clairement que le revenu dans les Maritimes (N-B, N-É et I-P-E) est le plus faible au pays parmi les provinces, que l’on regarde le revenu moyen ou le revenu médian, et ce avant ou après impôt.
Voyez plutôt :
On peut – et devrait – aussi regarder la question de l’augmentation des droits de scolarité. Et c’est là que le N-B grimpe au classement :
On constate donc qu’en plus de se trouver au bas du palmarès en termes de revenu, le N-B et la N-É présentent les plus fortes augmentations des droits de scolarité. En N-É, cela s’explique par une mesure exceptionnelle de dérèglementation qui a permis aux universités d’augmenter leurs droits de scolarité pour les ajuster au marché (Academica). Dès l’année prochaine, la loi reprend ses droits : c’est 3% maximum par année (Chronicle-Herald). Chez nous, en revanche, pas d’explication aussi claire (pas que celle de la N-É rende la chose plus acceptable, loin de là), mais plutôt un désengagement du présent gouvernement envers le financement de l’EPS, qui est gelé depuis leur entrée à Fredericton (FÉÉCUM).
Évidemment, on entendra l’argument qu’au N-B (et ça se vaut ailleurs au pays) il est facile de pointer du doigt une institution publique en particulier qui augmente la moyenne du coût de la scolarité. Une année à Mount Allison vous coûtera 7765$ en frais de scolarité, plus les frais qui s’appliquent (Mount Allison : Mount Allison), tandis que ce coût sera de 6496$ à UNB (UNB), 6276$ à STU (STU) et 5716$ à Moncton (UMoncton). Ça fait deux universités au-dessus de la moyenne canadienne (soit 6373$) et deux en-dessous. Mais puisque le financement et les droits de scolarité sont déterminés en fonction des coûts et des effectifs de chaque institution, ça ne change pas l’eau des bines, comme dirait mémère.
D’autres feront l’argument que le coût présenté ici par Statistique Canada ne représente pas le coût net de l’EPS. Pour faire court, le coût net est ce que l’étudiant.e aura à débourser une fois qu’on aura appliqué les rabais, crédits d’impôts, et l’aide financière non-remboursables (bourses) qui lui seront accordés.
Cela, d’autres l’expliquent mieux que moi, bien que dans la langue de Shakespeare (HESA).
Le problème avec ce concept, c’est qu’il n’affecte en rien le prix sur l’étiquette, et que c’est l’étiquette qui va guider la décision d’aller ou non aux études pour le commun des mortels. Pensez-y un peu comme la différence entre le prix d’un aliment sur le paquet, et son prix à la caisse, après taxe, dépôt, etc. On ne magasine généralement pas en fonction du prix à la caisse ou de nos crédits d’impôt, ou du prix de remboursement de nos contenants consignés.
Heureusement le nouveau programme d’aide financière consolidée de l’Ontario, et la copie que le N-B en a fait avec un œil de fermé, (FÉÉCUM), visent à aller dans ce sens autant que faire se peut, c’est-à-dire de présenter le coût net des études à l’étudiant.e.
Mais il y aura toujours d’autres frais qui s’appliqueront par-dessus les droits de scolarité. Par exemple, le coût d’une année universitaire à L’Université de Moncton, tel qu’estimé par l’institution elle-même, se situe entre 13 323$ à 17 932$ pour les étudiant.e.s canadiens et 18 784$ à 23 993$ pour les étudiant.e.s internationaux (UMoncton).
Ça signifie que les droits de scolarité représentent environ 45% du coût des études dans le meilleur des cas, et 32% dans le pire des cas (ou 53% à 43%, dans le même ordre, pour les étudiant.e.s internationaux).
On va vous laisser digérer ça.
L’éducation postsecondaire est un projet de société, dont tous récoltent les bénéfices, qu’ils y accèdent ou non. Bien entendu, plus de gens y accèderont et plus les bénéfices seront importants. C’est un outil que la collectivité choisit de se donner pour alimenter le progrès. Aussi, et peut-être surtout, c’est un outil de mobilité sociale.
Aujourd’hui, la plupart d’entre vous a parlé, reçu de l’aide, été servi par quelqu’un qui a accédé aux études postsecondaires.
Pensez à quoi ressemblerait notre société si personne n’y avait accès. Ou pire, seule une élite entre les mains de laquelle, essentiellement, tout le pouvoir économique, politique et social se retrouvait inévitablement concentré.
C’est pour ça qu’on finance l’éducation. Et quand on fait le choix de l’affamer, tous les plus beaux programmes d’aide financière du monde n’y feront pas grand chose : la qualité va inévitablement diminuer (FÉÉCUM). Il semble contreproductif d’aider l’étudiant.e en ignorant les besoins de l’institution qui le reçoit. Puisse l’avenir me donner tort!
D’ailleurs, l’aide financière – les prêts étudiants – vous savez qu’il faut les rembourser plus intérêt, non? Ça non plus, c’est pas sur l’étiquette (FÉÉCUM).
Réveillons, les blasés!
Texte de réflexion - aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être nécessairement interprétée.