Par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets.
Aide financière: le miracle de l’impartialité partisane
Malgré toutes les critiques qu’on pourrait formuler à l’égard de la gestion des fonds d’aide financière aux étudiants par le gouvernement sortant, il faut d’abord parler de l’impact du DSG (GNB) et du PADSCM (GNB), deux programmes d’aide financière mis de l’avant en 2016 et 2017, respectivement.
Comme pour une bonne partie des promesses faites depuis 2014, il faut chercher environ six ans dans le futur pour les résultats. À la veille de l’élection provinciale, on est encore loin de ce moment fatidique. Encore là, l’impact à long terme est ce qui va compter et ça, il faudra qu’une cohorte entière soit passée par le système universitaire, en plus d’un recensement après la sortie de ladite cohorte (car les données sur l’endettement étudiant y sont collectées) pour l’évaluer.
D’ici peu nous aurons quand même des chiffres pour cette première année, nous assure-t-on du côté du Ministère. Ça pourrait déjà nous donner une idée, sauf que même si les programmes mis en place fonctionnent le mieux du monde, il y a un élément qui risque de compliquer la situation à court terme: l’examen des droits de scolarité.
2019-2020 sera le véritable test des nouveaux programmes, qui ont certainement été pensés en fonction du plan mis en effet à compter du dernier budget provincial. Autrement dit, le résultat ne devrait prendre personne par surprise du côté du gouvernement.
C’est dire que pour le vrai portrait, on s’en reparlera dans deux recensements, en 2026.
Certains auront noté qu’une bonne partie de l’aide financière coupée suite à la Révision stratégique des programmes était remise aux étudiant.e.s sous la forme de crédits d’impôt, donc principalement après l’obtention du diplôme. Ces gens peuvent croire que le montant d’aide financière remis pendant les études demeurerait essentiellement inchangé.
Mais la dette d’étude, ça arrive pendant les études. Après le diplôme, il y a l’intérêt et ça c’est un tout autre problème (que d’autres provinces ont attaqué en éliminant l’intérêt sur la part provinciale - 40% - du prêt étudiant). Des crédits d’impôt qui aident à réduire l’impact de l’intérêt accumulé sur une dette ne réduisent pas la dette elle-même, car ils interviennent après que la dette totale plus intérêt soit fixée. Pensez-y comme ça:
«On va te donner un crédit d’impôt, pourvu que tu te trouves une job qui paye assez; ce sera comme si ta dette diminuait.»
«OK, alors l’intérêt sera sur la dette qui restera après le crédit d’impôt, right?»
«LOL, non.»
En usant de mots à connotation positive mais pour l’essentiel sans substance comme « accessible » et « abordable », on peut aisément sembler prendre un problème au sérieux. Tous les gouvernements sont coupables de cette faute en fait d’aide financière aux étudiant.e.s. Le sens des mots varie pour chacun, comme la valeur perçue des programmes mis en place: un seul et même programme d’aide financière peut être considéré comme un investissement par un gouvernement, et comme une dépense par le suivant, par exemple.
Ça cause évidemment des querelles et des désagréments sur la nature et l’efficacité des programmes, qui tendent à suivre les lignes de parti. Les Libéraux aiment faire des cadeaux, et le PC préfère les crédits d’impôt. Pour cette raison notamment, on peut craindre qu’après septembre prochain, les nouveaux programmes dont l’efficacité n’est ni prouvée, ni prouvable dans les circonstances, seraient menacés de disparition.
Peut-être trouve-t-on ici la raison d’une annonce récente du gouvernement, qui a conclu une entente de cinq ans avec l’Institut de la recherche, des données et de la formation (IRDF), basé à UNB, et spécialisé en analyse des politiques publiques. En vertu de cette entente, l’IRDF «mènera une étude à long terme des programmes offrant des possibilités d’apprentissage de la petite enfance et un allègement des droits de scolarité.» (GNB)
Cette façon de faire, unique au pays d’après l’annonce du gouvernement, pourrait bien avoir le mérite de protéger les programmes d’aide financière récemment mis en place. Avec l’analyse des données en « temps réel », plutôt que l’approche habituelle qui fonde les décisions sur des analyses ponctuelles qui peuvent être séparées de plusieurs années, il devient possible de « rectifier le tir des deux programmes en moins de quelques années, si les attentes établies [...] ne se matérialisent pas en tout ou en partie. » (IRDF/GNB)
Voilà qui est une bonne nouvelle: on pourrait modifier le programme avant que le résultat soit catastrophique et mène peut-être à son abolition en raison de fautes mineures. Ou encore, s’il se produit des changements majeurs (comme, disons, une hausse massive des droits de scolarité), il serait possible d’y répondre par des modifications à l’aide financière en temps utile afin d’en limiter l’impact sur les étudiant.e.s.
Enfin, selon l’IRDF: « déléguer l’évaluation de programmes à un organisme indépendant et l’inviter à agir de façon autonome feront que les résultats publiés seront fiables et libres de “ gauchissement ” politique. » Autrement dit, la vie et la forme des programmes ne sera pas dictée par la couleur du gouvernement, mais par les données.
Ce sont à première vue les aspects positifs de cette décision.
Il y aura évidemment des aspects négatifs qui se révéleront au fur et à mesure. Par exemple, bien que l’IRDF soit une entité séparée, sa création est le résultat d’un partenariat avec plusieurs agences gouvernementales, et son financement provient au moins en partie de Fredericton (IRDF). Alors la notion d’indépendance reste à prendre avec un grain de sel. Je ne dis pas qu’il faille remettre en question son impartialité: la conduite de la recherche ne doit être en aucun cas dictée par le gouvernement ni influencée par des conflits d’intérêt - c’est le principe d’un institut de recherche. Mais sans financement, y’a pas grand recherche qui va se faire non plus, alors si ce dernier devait être coupé...
Cette entente aura aussi un impact sur les étudiant.e.s, et plus spécifiquement sur les associations qui les représentent. Si les données probantes doivent guider les décisions touchant aux programmes d’aide financière (ce qui est une bonne chose - yay données), le gouvernement a une raison de plus pour faire la sourde oreille aux revendications étudiantes en ce sens. Pas éternellement, bien sûr, car l’IRDF doit produire des rapports annuels sur les données collectées aux fins de ses analyses. Les conclusions ou recommandations, en revanche, seront gardées pour la dernière année de l’entente, dans cinq ans. En 2023.
S’il a le luxe d’attendre ces conclusions pour agir, même si c’est dans le sens de ce que les associations recommandent en se basant sur les données de l’IRDF, nul doute que c’est l’option qui sera choisie. Wô minute, belle jeunesse; attends un peu.
Joue-t-on une partie d’échecs avec les associations étudiantes? L’avenir nous le dira.
Enfin, disons aussi un mot sur la neutralité réelle de cette entente. Elle vient d’être signée par un gouvernement libéral afin d’analyser des programmes mis en place par ce même gouvernement libéral, avec un institut qui bénéficie de fonds publics contrôlés par ce dernier. Ne poussons pas jusqu’à dire qu’il y a un aspect partisan à la chose, mais disons tout de même que ça met des bâtons dans les roues à tout autre gouvernement pour les cinq prochaines années. Ça fait deux gouvernements, ça: le prochain est essentiellement menotté en attendant la fin de l’analyse de l’IRDF, et le suivant recevra les conclusions à la fin de sa première année au pouvoir - alors difficile d’annoncer quoi que ce soit en fait d’aide financière dans leurs plateformes électorales.
Le Parti libéral, entre temps, restera libre de vanter les mérites de ses programmes, qu’il soit au pouvoir ou dans l’opposition. Avec le vote de la jeunesse qui prend de l’importance dans l’arène politique, on pardonnera qui va recevoir cette nouvelle d’apparence anodine avec un accès subit de cynisme.
Il est - encore, oui, et c’est un thème avec les libéraux - trop tôt pour le dire, mais il semble qu’on pourrait être en train d’assister ébahis au miracle de l’impartialité partisane.
Aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être nécessairement interprétée.