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Tant qu’on aura besoin d’un tintamarre
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Texte de réflexion par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets.
Chaque 15 août, Fête de l’Assomption, l’Acadie (de partout) sort dans la rue taper sur ses chaudrons, souffler dans ses cornets et virer ses crécelles, bref mener un boucan d’enfer qui signifie sa présence au monde entier. Qui démontre comment, envers et contre tout les Acadiens sont toujours bien vivants et bien présents, quatre siècles et une Déportation plus tard. Ça démontre sa fierté, sa vitalité en tant que communauté au monde entier. Ou en tout cas, au moins à ses voisins un peu cross-tread, si vous me passez l’expression. Le tintamarre rassemble, fournit un repère identitaire commun et central à la communauté. C’est un peu l’image de marque, la carte d’affaires de l’Acadie.
Reste qu’être Acadien – il faut en convenir – c’est une réalité quotidienne qui ne ressemble aucunement au tintamarre. Peu d’entre nous sortirions bariolés de bleu-blanc-rouge avec une étoile jaune au front en vargeant sur notre batterie de cuisine. Même le 16 août, c’est chose rare. Au quotidien, on se contente de vivre en français dans un milieu majoritairement anglophone, de se donner et de préserver des institutions, des événements, une culture et une communauté qui nous permettent de vivre notre différence tout en s’intégrant dans le milieu de la majorité.
Évidemment, le drapeau acadien, emblématique d’une nation sans frontières, flotte ici et là, rappel éloquent de l’existence de l’Acadie tant pour ses citoyens et partisans que pour ses opposants.
Ça nous donne une base pour ce qui suivra.
À la suite des horribles événements qui ont secoué Orlando (et je dont les ondes de choc ont des réverbérations jusque chez nous), on voit surgir de partout des élans de solidarité (Radio-Canada). Mais ce que l’on voit peut-être moins, c’est la peur qui renaît (était-elle jamais tout à fait disparue?) au sein de la communauté LGBTQ+, qui est à n’en pas douter au moins un peu plus consciente de sa différence. Des risques potentiels de vivre ouvertement son identité, sa sexualité – comme le font le reste des gens bien intentionnés. On peut difficilement se sentir plus que tolérés dans les circonstances, et encore tant qu’on ne sera pas trop visible.
Et pourtant, même en l’absence de manifestations aussi sauvages de haine envers leur communauté, la perception de leur différence peut peser lourd au quotidien. Pas que de vivre ouvertement leur identité et leur sexualité devrait offenser qui que ce soit; je me fiche éperdument de ce qui se trame dans la chambre à coucher de mon voisin et c’est encore moins ma place de lui dire ce qu’il a le droit d’y faire ou pas.
C’est de ses affaires. Moi, tant qu’on sait dans quoi on s’embarque et qu’on est d’accord pour procéder, envoye fort.
Et s’il s’agit de gestes d’affection donnés en public, tant que ça ne transgresse pas les lois, baptême, si ça me dérange j’ai rien qu’à regarder ailleurs.
T’as le droit d’être dérangé par ce que tu vois. Veut, veut pas ce n’est pas toujours quelque chose qui se contrôle. Mais ce que tu contrôles, ce sont les actions entreprises par la suite. Ce n’est pas tout le monde qui a la capacité de s’en foutre, je comprends ça, mais tout le monde est capable de décider de son prochain geste.
Moi, j’aime pas ça le foie de veau. Est-ce que l’idée m’a jamais traversé l’esprit de sacrer le feu dans l’étalage de viande du Sobeys? Peut-être ben, peut-être pas, mais je réalise qu’il y a du monde qui aime ça le foie de veau – et que je n’ai aucunement le droit de les priver de ce bonheur, aussi incompréhensible puisse-t-il me paraître.
OK, je fais des parallèles un peu crus, et je m’excuse s’ils vous offusquent, mais c’est dans le but d’illustrer l’idée. Pour être parfaitement clair et correct à la fois, disons que les droits de la minorité en tant qu’être humains et citoyens ne sont en aucun cas différents de ceux de la majorité en tant qu’êtres humains et citoyens.
On devrait bien comprendre ça en tant qu’Acadiennes et Acadiens à Moncton, en tant que francophones au N-B et au Canada, vous ne croyez pas?
Alors, dites-moi je vous prie, pourquoi ça a pris le massacre de 49 personnes (sans compter le tueur) dans un bar gai à Orlando pour que l’Université de Moncton, université de l’Acadie et fière de l’être, consente à faire flotter le drapeau arc-en-ciel sur ses trois campus???
Ce n’est pas comme si on vous demandait un investissement majeur, non plus : on parle d’un DRAPEAU pis d’un poteau. Calvâse, on vous aidera si vous en êtes à votre dernière piasse. En plus, vous avez déjà le drapeau en main (UMoncton).
Ce qu’on semble attendre ici, trop souvent, c’est un drame qu’il nous coûterait trop cher d’ignorer. Il faut être OBLIGÉS d’agir. On l’a fait pour Sotchi (UMoncton), parce que tout le monde le faisait, et on le fait pour Orlando, parce que tout le monde le fera. Il faut dire que le drapeau a déjà flotté à au moins deux reprises au stade pendant la semaine de sensibilisation à la diversité sexuelle, initiative du groupe Un sur Dix (UMoncton et UMoncton).
Mais on ne peut pas être solidaires à temps partiel. Scusez là, mais ça sonne faux.
Dans quelques semaines ou quelques mois, quand les médias seront passés à autre chose, qu’adviendra-t-il du drapeau LGBTQ+, je vous le demande, messieurs-dames de Taillon? On est déjà plutôt en retard à la parade; il est redescendu après les Olympiques, alors quelle sera la suite maintenant?
Aucune raison de croire qu’il y ait un biais contre la communauté LGBTQ+ à l’Université de Moncton – loin de là, mais quand on parle de solidarité il me semble qu’on devrait être les premiers à comprendre l’importance des symboles. On est-tu solidaires, ou ben suiveux?
Sont-ce un drapeau, une cocarde, un hymne et une fête nationale qui ont fait l’Acadie? Non. C’est l’union de la communauté derrière ces symboles concrets d’une nationalité abstraite.
Le parallèle n’est *vraiment* pas difficile à faire avec le drapeau arc-en-ciel.
L’Acadie a le tintamarre, la communauté LGBTQ+ a ses défilés de la fierté. On a la Sagouine, ils ont les drag queens. Ce sont des excès dont le rôle est de souligner la différence et de la célébrer. De se rassembler pour partager notre joie, pour vivre pleinement qui nous sommes. Tout cela crie au monde qu’on ne peut être ignorés, qu’on existe et qu’on est fiers de se tenir debout face à l’adversité.
On aura beau déporter, on aura beau massacrer, toujours on se relève.
Plus forte, plus bruyante – parce qu’on ne se laissera pas ignorer, parce qu’on refuse de renoncer à ce que nous sommes pour se faire le miroir de la majorité. Parce qu’on est autre, et qu’on fait partie de, tout à la fois.
Cherchons un peu plus loin que la communauté, et nous trouverons toujours un lien commun. Nous sommes des néo-brunswickois, des Maritimers, des Canadiens-français, des Canadiens, des humains. Tout le monde est connecté à tout le monde.
Si on ne trouve pas le moyen de se soutenir entre nous, de s’accepter dans nos différences et de laisser à l’autre le droit de vivre comme on souhaite nous-mêmes l’avoir, on devient quoi?
Ce n’est pas une affaire de religion non plus – toutes les religions sont fondées sur l’amour. On aime à dire que ce ne sont pas les armes, mais les gens qui tuent; ici aussi je crois que le parallèle s’impose.
Pour conclure, j’inviterais l’Université de Moncton à tourner son regard vers ses collègues de Fredericton, UNB et STU, qui ont toutes deux mis en berne leurs drapeaux de la fierté (CBC). Si on les a mis en berne, c’est qu’ils étaient déjà là. Et si l’Université St-Thomas, une institution catholique (STU), peut faire flotter le drapeau arc-en-ciel, pour l’amour de toute, dites-moi ce qu’on attend à Moncton?
On n’en sait rien, mais ce ne seront certainement pas les appuis qui manqueront pour qu’il y demeure une fois hissé. Parce que tant qu’on aura besoin d’un tintamarre…
Texte de réflexion - aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être interprétée.