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Pour ne pas dire inaction (2) : l’intimidation à l’Université de Moncton
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Texte de réflexion par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets.
On n’a pas réussi à briser le mur du silence.
On ne réussit pas à enrayer le phénomène même si on a une politique.
Dans une société d’enfants, on protège davantage parce qu’on considère que l’enfant n’est pas en mesure de se plaindre. Nos étudiants-e-s sont des adultes, mais ils et elles sont dans une relation de pouvoir ou d’autorité par rapport à leurs professeur-e-s.
Les gens ne se plaignent pas parce qu’ils craignent l’autorité.
Ils craignent des représailles par rapport aux notes.
Quelqu’un devrait pouvoir agir en ayant un pouvoir d’enquête, mais c’est dangereux parce qu’il faut identifier des personnes qui ne veulent pas être identifiées.
C’est déplorable de ne pouvoir agir alors qu’on reçoit la même information plusieurs fois. C’est toujours dans le même secteur, mais on ne peut pas aller sensibiliser le personnel de cette faculté.
Les personnes dont on se plaint informellement depuis le début sont toujours là.
Je suis surpris du nombre de personnes qui me font part, souvent de façon informelle, du harcèlement dont elles ont été l’objet, par exemple dans le cadre d’un stage ou d’un emploi d’été.
…
Ces paroles ne sont pas les miennes. Elles ont été enregistrées au Conseil des gouverneurs de l’Université de Moncton (CGV) le 11 juin 1994 (point 19, UMoncton), le 10 juin 1995 (point 15, UMoncton) et le 14 juin 1997 (point 16, UMoncton).
Ce sont des remarques qui vieillissent bien. Trop bien.
La FÉÉCUM entend année après année des échos touchant au harcèlement, à l’intimidation, et aux préjugés envers les étudiant-e-s; et, comme il fut souligné au CGV, les situations (et les noms) se répètent trop souvent. Évidemment, nous ne sommes pas en mesure de recevoir et de traiter les plaintes, mais nous pouvons accompagner les membres de la FÉÉCUM à travers le processus, long et complexe, qui peut déboucher sur une plainte officielle. Je dis bien peut, car c’est l’exception : le temps n’est pas notre allié en la matière et les étudiant-e-s n’ont ni temps ni argent à perdre. Tristement, le choix le plus évident est souvent de se taire et d’endurer.
Et tant qu’il n’y a pas de plaintes officielles, déposées à l’issue d’un processus reconnu, établi, encadré, règlementé et administré par l’Université de Moncton, il n’y a pas de problème aux yeux de l’institution. Cela, je le dis sans sarcasme.
Mais est-ce surprenant qu’aucune plainte officielle ne soit déposée là où règne un climat de peur?
Est-ce surprenant qu’aucune plainte officielle ne soit déposée envers qui détient un immense pouvoir de décision sur la future carrière des étudiant-e-s?
Est-ce surprenant qu’aucune plainte officielle ne soit déposée quand plane la menace constante de répercussions sur la suite – s’il y a une suite – des études?
Qu’elle soit réelle ou perçue, cette menace reste problématique.
Non, ce n’est pas surprenant du tout. Et bien que dans la présente situation il soit d’abord et avant tout question d’étudiantes et d’étudiants, cette culture de l’intimidation n’épargne aucunement les membres du personnel. Parlez-en à Serge Rousselle (Acadie Nouvelle).
Le plus grand mal de l’intimidation est peut-être celui que la personne intimidée en vient à s’infliger, par instinct de préservation. Longer les murs, se taire, devenir invisible et filer doux en espérant que le temps arrange les choses, voilà le vrai visage de l’intimidation; c’est une violence que la victime se fait à elle-même. Sous l’impulsion d’un intimidateur ou d’une l’intimidatrice que l’on verra rarement à l’œuvre.
Mais le temps n’arrange rien en soi; le temps fait que les gens passent à autre chose, changent de milieu. Et quand une victime disparaît…
Le milieu, pour sa part, a beau jeu de rester le même.
Il faut pouvoir pointer du doigt l’intimidation pour y mettre fin, mais elle n’est pas toujours évidente. Et quand la crainte de répercussions par association s’installe chez les témoins potentiels, il se crée une culture de passivité qui – pour les intimidateurs – s’interprète aisément comme de l’approbation. C’est un cercle vicieux.
De là l’importance d’agir, pour faire valoir ses droits, pour protéger ceux des autres.
Même dans les cas extrêmes, comme celui de cette étudiante de l’Université York, harcelée sexuellement par un de ses profs, on juge souvent préférable d’attendre avant d’élever la voix (CBC). Il n’y a qu’à regarder les rapports annuels du Comité d’appel du Sénat académique pour constater qu’il en va de même ici (UMoncton). Je n’invente rien.
Il n’y a pas lieu de juger trop sévèrement l’étudiante ou l’étudiant qui attend d’être è l’abri de la menace avant de parler; ni celle ou celui qui pousse jusqu’au bout la défense de ses intérêts (FÉÉCUM). Si on pèse les chances de succès et le risque de subir des conséquences, la décision d’attendre d’être à l’abri de représailles se défend.
Car disons-le, même quand le règlement tranche en faveur de l’étudiant-e, rien n’empêche l’intimidation de se poursuivre. Prenons l’exemple d’un cas récent où la note d’échec au cours donnée par le prof fut invalidée. Ce dernier a senti le besoin d’exprimer publiquement sa frustration de voir sa décision questionnée (Acadie Nouvelle), comme si le règlement devrait opérer à sens unique.
Ayant assisté à des situations en sens inverse, je peux vous assurer que les étudiant-e-s sont questionné-e-s, pour ne pas dire remis-es en question; on croirait parfois assister à un procès où l’avocat de la défense cherche à discréditer le témoin. On les pousse souvent jusqu’aux larmes, bien que le stress et la peur y soient pour autant que ce qui est dit.
Est-ce la faute du processus? Non. Ce n’est pas le processus qui agit, ce sont les gens qui l’administrent. Le processus ne fait qu’établir les étapes à suivre (8.8, UMoncton). Que vous ayez vécu de l’intimidation, du harcèlement ou des préjugés à chacune de ces étapes ne change rien au fait que le processus s’est déroulé de manière conforme.
Alors, la réalité sur papier et la réalité sur le terrain sont deux choses. Est-ce exceptionnel à l’Université? Non, mais ce n’est pas plus correct ici que ça ne le serait ailleurs. On ne peut justifier des comportements douteux en affirmant que d’autres font la même chose. Mémère appellerait ça un déblâme; un faux-fuyant.
En 1991, l’Université a adopté sa « Politique et règlements en matière de harcèlement sexuel et de harcèlement sexiste » (UMoncton), et en 2011 sa « Politique pour un milieu de travail et d’études respectueux » (UMoncton). Pour mettre en place ces deux politiques, en plus des ressources humaines pour les administrer, il fallait qu’il y ait un problème à la source.
Une partie du problème est qu’on a cessé d’en parler, du moins publiquement. Chaque année, un rapport annuel est produit en lien avec chacune des politiques. Entre 1991 et 2005, la conseillère était invitée à présenter son rapport annuel au CGV et participait à la discussion qui suivait son dépôt. Depuis 2007, c’est le ou la vice-recteur à l’administration et aux ressources humaines qui en fait le dépôt, généralement sans entrer dans les détails de son contenu.
Alors, en plus d’être virtuellement invisible sur le campus, le Service d’intervention en matière de harcèlement (UMoncton) a perdu de sa visibilité auprès du CGV. C’est nous qui en faisons la promotion (FÉÉCUM), c’est tout dire. Mais il existe et – sur papier – la situation est sous contrôle aux yeux de l’Université : il n’y a pas de plaintes officielles.
Ça a beau être des plaintes informelles, même les pires statistiques peuvent révéler une vraie tendance; si on entend les mêmes choses que nous à Taillon, comment peut-on encore être à l’aise de dire qu’il n’y a pas de problème, ni de raison d’agir?
Le mur du silence est encore debout, et bien solide; la crainte de représailles persiste; on est encore surpris du nombre de personnes qui se plaignent informellement de la manière dont elles et ils sont traités au sein de la communauté universitaire.
On n’a toujours pas d’ombudsman et ça aussi, on en parle de moins en moins au CGV. Depuis le départ de la conseillère Boyd, on reste dans le noir (FÉÉCUM) quant à l’avenir du poste, réduit à deux demi-journées par semaine par l’Université.
La sécurité, le respect et le bien–être de tous les membres de la communauté universitaire a déjà été une priorité; il est temps que ça le redevienne. C’est à bout de contemplation qu’on sombre dans l’inaction.
Texte de réflexion - aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être interprétée.