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«Tchen ma bière pis watch cecitte» : la chicane à MUN (1)
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Texte de réflexion par Raymond Blanchard, agent de recherche et projets.
Ces dernières semaines, une bataille intéressante et lourde de conséquences oppose le gouvernement et l’administration de l’Université Memorial de Terre-Neuve-et-Labrador (MUN). Lors du dépôt de son budget 2017, le gouvernement de la province a coupé de 3 M$ la subvention versée à MUN (CBC).
Ce qui rend la situation particulièrement intéressante pour nous, c’est qu’à TNL il y a une seule université. Ce qui signifie que quand le ministre distribue ou coupe des fonds il a pas mal plus de contrôle sur ce qui peut et ne peut pas être fait avec ces derniers. Ici, on sait comment le gouvernement aimerait pouvoir contrôler davantage l’utilisation des fonds remis aux universités... Ça nous donne une chance de voir si ça changerait quoi que ce soit – pour les étudiant.e.s évidemment.
Alors d’un côté on a le ministre et de l’autre le recteur Gary Kachanoski, qui déplore pour sa part des coupures de près de 12 M$, plus du double de ce à quoi il s’attendait. Ça s’explique : la subvention de fonctionnement (l’argent dont MUN peut faire à peu près ce qu’elle veut) a diminué d’environ 12 M$, mais des nouveaux fonds à fin spécifique ont été ajoutés, dont 4 M$ pour financer le gel des droits de scolarité. Mais le recteur n’a fait aucune promesse quant au maintien du gel, en place depuis 2003 (CBC).
D’après le ministre de l’éducation supérieure Gerry Byrne, c’est une simple question de couper dans le gras. Le ministre est si confiant qu’il a même laissé entendre que le financement de MUN pourrait diminuer si les droits de scolarité augmentent (CBC). Il a même indiqué précisément où le gras se situe à MUN : dans les dépenses de la haute administration. Vous devinerez que la haute administration l’a pas trouvée bien comique. Mais Byrne n’en démord pas, citant par exemple 17,4 M$ en dépenses de voyage et d’hospitalité dans le budget 2016-2017 de l’institution (MUN), alors que CBC dévoile que MUN a dépensé plus de 20 000$ en retraites de golf au cours des cinq années précédentes (CBC).
La réaction du côté de Kachanoski a plutôt été de suggérer une hausse des droits de scolarité comme solution. En fait, MUN se dit tellement serrée dans ses finances, - en raison du maintien du gel - qu’une hausse de l’ordre de 16% serait nécessaire (CBC). Et là, c’est Byrne qui ne l’a pas trouvée comique.
Intervient alors une troisième joueuse, la vice-rectrice académique Noreen Golfman.
Questionnée sur les dépenses de MUN lors d’une entrevue sur les finances de l’institution, Golfman a fait valoir la nécessité d’offrir aux candidat.es que MUN courtise pour des postes un traitement comparable à ce qu’ils recevraient dans le monde corporatif. « On ne va pas nourrir [les candidats] avec des sandwiches au beurre d’arachide et à la confiture ; on va faire ce que font les professionnels », a-t-elle commenté.
On a tous déjà entendus cette rengaine.
Certains l’ont d’ailleurs entendu une fois de trop, car un étudiant de l’Université McGill originaire de la Nouvelle-Écosse, a justement choisi de manifester son opposition en envoyant au Dr. Golfman un sandwich par la poste, accompagné d’une lettre lui expliquant l’importance d’investir dans l’éducation avant de se donner des avantages (CBC).
L’idée a fait des petits : les étudiants de MUN ont à leur tour tenu un buffet de PB&J en plein air, question d’attirer l’attention du public sur les dépenses – et sur l’attitude un brin hautaine et dépensière – de la haute administration (CBC).
Puis Byrne est revenu la charge: d’après lui non seulement la haute administration MUN s’octroie des privilèges qu’elle semble tenir pour acquis (Byrne dénonce en outre une « culture of entitlement at MUN » à qui veut bien l’entendre), mais de plus elle présente des chiffres inexacts sur les coûts de l’éducation. Pire encore, ces chiffres varient selon l’auditoire (Telegram).
L’Université se défend sur les deux fronts, demandant aux gens de consulter eux-mêmes l’information et de poser leurs questions à MUN, tout en invitant le gouvernement à régler les différents en-dehors de l’espace public (CBC), plutôt que dans les médias comme c’est présentement le cas.
Ça sonne de plus en plus familier, non ?
Et toutes sortes de possibilités sont évoquées pour remédier au manque de fonds dénoncé par MUN, comme réorienter les priorités vers l’enseignement au détriment de la recherche, ou mettre en place des frais afférents (notamment pour l’amélioration des infrastructures), parce que le moment est peut-être venu de «faire face à la réalité».
Au sens où le gel des droits de scolarité serait devenu insoutenable pour MUN.
La décision doit se faire avec les besoins exprimés de la population en tête, selon Dr Golfman, qui demande du même souffle si MUN veut vraiment être connue comme l’université la plus «cheap» au pays, d’abord et avant tout.
A-hum : *Prestige*, quoi.
Mais ni MUN ni le gouvernement ne semblent pouvoir mesurer adéquatement le coût de l’éducation. MUN a commencé par dire qu’il lui en coûtait 31 000$ par étudiant, alors que la moyenne canadienne se situe aux environs de 19 000$. Ensuite, on a ramené ce chiffre à 26 000$ après que l’ACPAU ait communiqué avec MUN pour lui rappeler que les données citées ne doivent pas être utilisées à des fins de comparaison (MUN).
Le journaliste Hans Rollmann a offert un point de vue intéressant sur le débat. D’après ses calculs, chaque dollar dépensé à MUN en rapporte plus du double à la province, ce qui fait que toute notion d’un coût associé à l’éducation est fondamentalement idiote. En appliquant le calcul du coût utilisé par MUN et Byrne – soit de diviser le budget de MUN par le nombre d’étudiants à temps plein – il affirme au contraire que chaque étudiant.e, loin de coûter quoi que ce soit à la province, lui rapporte 67 000 $ (Independent). Je vous invite à aller lire l’article complet. Dans ses mots :
« The economy gets back more than two and a half dollars for every dollar invested into students at Memorial. Students easily pay for themselves, so to speak. And then some. And then a lot, actually. »
Rollmann pose une autre question pertinente sur le calcul du coût de l’éducation : est-ce que chaque ligne du budget d’opération d’une université contribue véritablement à l’éducation de l’étudiant.e ? Par exemple, des repas d’administrateurs à 700$ aident-ils à l’apprentissage ? Non, évidemment pas. Alors pourquoi on compte les coûts administratifs dans le coût de l’éducation ?
De toute évidence, plusieurs sujets d’intérêt pour l’éducation postsecondaire au N-B et ailleurs au Canada sont en train d’évoluer en ce moment à Terre-Neuve. Le texte est déjà long et je me propose d’y revenir plus tard, mais il demeure que la suite des choses risque d’être extrêmement intéressante.
C’est fascinant. Tous les combats qui se livrent depuis des années ici pourraient se régler là-bas en quelques semaines. La question est de voir si on devra l’imiter ou pas.
Give’r, comme on dit là-bas : tchen ma bière pis watche cecitte !
Texte de réflexion - aucune position officielle du C.A. de la FÉÉCUM ne devrait en être nécessairement interprétée.