Un texte de Pierre losier, directeur général et Raymond Blanchard, agent de recherche et projets
Le vendredi 15 janvier, le premier ministre nous a partagé pour la première fois son “plan” pour la révision de la Loi sur les langues officielles (LLO). Le communiqué de presse contenant les “détails” de ce “plan” nous a été transmis par courriel à peu près au même moment où il était versé sur le site web du gouvernement provincial (GNB). Ce plan, qui se faisait attendre depuis bien longtemps, ne nous laisse pas seulement sur notre appétit; il est si pauvre en information neuve qu’on se pose plus de questions maintenant qu’avant sa diffusion.
Ce qu’on nous apprend, pour l’essentiel, c'est que le premier ministre remettra la charge de conduire la révision de la LLO à deux commissaires, qui restent à nommer (au moment d’écrire ces lignes, une semaine s’est écoulée sans qu’on en sache plus sur qui sera nommé). Leur mandat sera très large, incluant la supervision du processus de révision, des consultations auprès du public et des intervenants clés, l’examen des suggestions et des recommandations formulées au cours du processus et la présentation d’un rapport final accompagné de recommandations au gouvernement et tout cela, avant le 31 décembre 2021. C’est une grosse commande.
Malgré le fait qu’on vous la ferait déjà répéter 3-4 fois dans le micro du service à l’auto et qu’on oublierait quand même d’ajouter votre sauce barbecue, le premier ministre est décidé qu’il va en avoir plus pour son argent. Au mandat large - mais compréhensible - déjà prévu pour les commissaires non-identifiés, Higgs a cru pertinent d’ajouter une couche que plusieurs s’entendent pour trouver, disons, déplacée:
« En plus de la révision officielle de la Loi sur les langues officielles, les commissaires seront chargés de trouver des manières d’améliorer l’accès aux deux langues officielles pour tous les gens du Nouveau-Brunswick. M. Higgs a indiqué que, présentement, moins de 50 pour cent des élèves du système scolaire anglophone qui terminent leurs études secondaires ont la capacité de parler anglais et français. Il a dit que les nouvelles technologies ainsi que les défis croissants en matière de main-d’œuvre causés par l’émigration exercent des pressions sur la capacité de la province à pouvoir continuer d’offrir des services de haute qualité dans les deux langues officielles. Les commissaires aborderont ces préoccupations, ainsi que d’autres questions liées à la langue. » (GNB)
Veut veut pas, plus t’ajoutes d’ingrédients dans ta soupe et plus longtemps elle prendra à cuire - et chaque nouvel ajout vient avec le risque de ruiner ton repas.
D'entrée de jeu, sans même savoir qui seront ces commissaires, il faut saluer leur courage - tout en se demandant si « courage » est le mot juste. On leur demande plus ou moins de danser la claquette dans un champ de mines.
Peu après la sortie du communiqué, le premier ministre a rencontré les journalistes pour répondre aux questions (car plusieurs restent en suspens). Higgs semble personnellement juger que mener la révision de la LLO dans le peu de temps qui reste à l’échéancier relève de l’impossible, car il indique « les changements à la loi, si changements il y a, pourront attendre à 2022 même si la loi stipule que la révision doit être terminée au plus tard le 31 décembre 2021.»(Acadie Nouvelle)
Car, vous savez, les priorités sont les priorités.
Adoptée en 1969, la LLO fut modifiée pour la première fois en 2002, après plusieurs décennies à tenter de l’appliquer sans vraiment connaître le succès espéré. Suite à la dernière révision (juin 2011- décembre 2012) le rapport final du comité spécial chargé de la révision fut reçu en juin 2013 et le projet de loi modifiant la LLO fut adopté quelques jours plus tard (sanction) Il y a déjà ça de bon que ça ne devrait pas s’éterniser une fois que le rapport des commissaires sera déposé. Sous réserve que le gouvernement le reçoive à temps, de un, et de deux l’accepte tel quel.
Maintenant, comment justifier ce mandat élargi des commissaires, vu le peu de temps (11 mois!) restant pour conclure l’exercice? Personne ne semble avoir de réponse à cette question. Tous les ajouts imposés par Blaine Higgs ne touchent absolument pas la LLO, et risquent bien malheureusement de plomber le processus.
N’en déplaise aux optimistes, « pourquoi après 50 ans de bilinguisme officiel, toute la population du N-B n’est-elle pas bilingue? » n’est pas une question des plus simples.
Parce que, mener des consultations sur la LLO, qui délimite son champ d’action aux services et aux milieux de travail relevant du gouvernement, ça vous donne au minimum un cadre bien clair, où certaines interventions seront pertinentes et d’autres pas. Mais là, en pitchant la question du bilinguisme et des exigences linguistiques dans l’arène, la porte est grande ouverte à la bigoterie, aux propos partisans, et à la désinformation. Regardez le fiasco des audiences sur la vaccination obligatoire, dont le gouvernement semble manifestement n’avoir tiré aucune leçon. (Radio-Canada) Ça aussi, on pensait que ça se déroulerait de façon civile. Il y a peu de raisons de croire que les consultations sur la LLO (et.... compagnie) se dérouleront sous d’autres auspices, même si les consultations se feront derrière des portes closes.
Ceci semble louche à première vue, évidemment: que cherche-t-on à cacher? Mais tristement, sachant quel genre de scène nous attend si on débat de langues officielles dans un forum public, c’est probablement mieux de garder ça derrière des portes closes. (Acadie Nouvelle) Ce qu’on espère cacher aux Néo-Brunswickois, ce sont en fait les Néo-Brunswickois.
Puis, pour qui aimeraient voir en Higgs un champion de la transparence, prêt à défendre les intérêts de la minorité francophone contre les lazzis de la cabale haineuse - dont certains cherchent ouvertement à se distancier (NB Media CO-OP) - eh bien, je crois que ce serait mieux de chercher ailleurs.
Il a été soulevé à maintes reprises ces derniers mois que le premier ministre ne semble pas connaître ni comprendre la LLO (Radio-Canada) mais il est maintenant trop tard pour espérer qu’il s’instruise. Tout ce qui touche aux faibles résultats en apprentissage du français relève des districts scolaires anglophones. Il faut trouver des solutions, mais il y a un temps et un lieu propice pour le faire, qui n’est ni maintenant, ni dans les consultations sur la révision de la LLO.
On a beau le répéter, le premier ministre est terriblement dur de comprenure.
Ça nous en dit peut-être aussi long sur Higgs que sur son entourage? Au palmarès des « francophones les plus influents au N-B » se retrouvent Louis Léger (#1), chef de cabinet du premier ministre Higgs et Paul D’Astous (#7), secrétaire principal du cabinet du premier ministre Higgs. Il faut présumer que ces deux personnes ont participé activement à la préparation du premier ministre dans ce dossier. Or, si ces deux francophones nommés à des postes d’importance par le premier ministre, et qui le côtoient sur une base quotidienne, ont failli à lui faire comprendre l’objectif de la loi ainsi que le but de sa révision, il y a de quoi craindre les recommandations qui vont en ressortir. Où sont M. Léger et M. D’Astous dans ce dossier? Il faut espérer que la vision du premier ministre ne représente pas la leur.
Comme le premier ministre a déjà dit à plusieurs reprises qu’il n’est pas fermé à l'idée de diminuer les exigences linguistiques pour les emplois de la fonction publique, c’est évidemment la première chose qui nous inquiète. Sauf que l’entêtement de Higgs sur la question de l’apprentissage du français dans le système scolaire anglophone a de quoi nous laisser perplexes. Ses propos et décisions démontrent à quel point la LLO lui importe peu (au point de questionner s’il l’a déjà lue) et sa révision encore moins. N’oublions pas que cette révision aura lieu à la seule condition d’y insérer un enjeu qui l’intéresse. C’est problématique dans n’importe quel contexte, mais encore plus quand ça vient du ministre responsable. Au minimum, la résistance à son plan explique peut-être pourquoi le processus est lancé aussi tard; Higgs affirme que le travail a commencé « il y a quelques semaines ». (Radio-Canada)
C’est dire que le manque de bilinguisme des jeunes anglophones est tellement important que la loi qui permet à la minorité francophone d’avoir accès à des services dans sa langue, à travailler dans sa langue, et à accéder à l’égalité de statut à l’embauche dans la fonction publique compte pour si peu qu’on est prêt à en faire la deuxième question sur le formulaire.
La façon de procéder du gouvernement Higgs n’est pas sans rappeler les lois omnibus souvent utilisées par le gouvernement fédéral dans l’objectif de faire adopter son budget. Le gouvernement conservateur de Stephen Harper (2006-2015) était champion à ce jeu. En plus des crédits budgétaires, un paquet de mesures ignobles (la réduction de protections environnementales, notamment) y sont glissées en même temps. Ce n’est pas ce qui se prépare ici très exactement, au sens que la LLO serait révisée en modifiant en douce d’autres lois, mais le processus de consultation et le mandat des commissaires n’est pas sans nous le rappeler.
Comme il l’a démontré dans une entrevue à Radio-Canada visant à clarifier son plan pour la révision de la LLO, Higgs ne fera pas moins que le minimum requis pour respecter ses obligations sous la loi, mais ne vous bercez pas d’illusions à croire qu’il en fera davantage. (Radio-Canada)
Voyant le peu de poids qu’ont pu avoir nos compatriotes même « les plus influents » sur les plans du premier ministre, il ne faudra pas se surprendre au terme du processus de révision de la LLO si on voit Higgs lancer les francophones sous l’omnibus.