Par Pierre Losier, directeur général et Raymond Blanchard, agent de recherche et de projets
Image: Cédric Ayisa, agent de communication
Le 7 mai 2021, l’Université a rompu ses liens avec un professeur de son département d’art dramatique. Un rapport d’enquête externe lié à la Politique sur la violence à caractère sexuel (PVCS) et/ou au Code de conduite était à l’origine de la décision. (Radio-Canada)
L’enquête devait examiner les torts reprochés au professeur, qui s’étendent sur une trentaine d’années. Pour que l’Université passe *enfin* à l’action après des décennies de plaintes et de dénonciations laissées sans réponse, l’enquête a forcément déterminé que le professeur était responsable d’infractions sérieuses. Précisons que toute plainte recevable traitée sous la PVCS (UMoncton) fait l’objet d’une enquête au terme de laquelle elle sera jugée fondée ou infondée. Alors au minimum, on aurait affaire à une plainte fondée, sinon plusieurs.
Quiconque a fréquenté l’Université de Moncton dans les années 1990-2020, surtout aux Arts, pourra vous dire que ce congédiement n’a rien de surprenant, sauf sa nature tardive.
Il faut penser que, pendant tout ce temps, les victimes ont été essentiellement ignorées. Oh, elles ont pu être entendues, mais sans suivi (et/ou sans action) comment peut-on y voir autre chose que de l’aveuglement volontaire? Des personnes en position d’autorité, qui savaient ou qui ont été informées de ces comportements, ont hésité ou refusé d’appuyer les victimes. Le choix a pu être conscient, volontaire; il a aussi pu se faire que la conduite du professeur soit banalisée - ce qui n’est pas bien mieux. C’était accepter la violence sexuelle comme faisant partie de la norme au département d’art dramatique.
On peut blâmer le système jusqu’à un certain point, car les plaintes “officielles” ont pu être rares, mais c’est encore se réfugier derrière un rempart procédural pour cautionner des gestes déplacés. La collégialité a le dos large, souvent - mais il n’y a pas de justification académique pour la violence sexuelle. Et puis, plaintes ou pas, il n’y a pas de fumée sans feu. Le parallèle avec la prévention des incendies se fait tout seul.
Le peu de plaintes officielles illustre, aussi, combien les étudiant.e.s voyaient les représailles comme plus probables qu’une action pour les protéger. Imaginez quel sentiment de détresse peut habiter la personne qui subit la violence sans espoir réaliste que les structures en place, de un, vont la croire, et de deux, chercheront à l’appuyer au lieu de protéger l’abuseur. Tout le pouvoir est d’un côté de la balance, et même quand ça bouge, le processus peut prendre des années à aboutir - on le voit bien. Alors les représailles (même si elles sont «punissables»… ) demeurent un risque réel entre-temps.
Évitons de confondre risque et certitude: la certitude nous permet de prendre des mesures, pour s’y préparer. Le risque frappe les personnes sans défense, au pire moment.
On parle des risques de se plaindre: le prof a été là plus de trente ans, dont plusieurs à la direction du département. Le bacc en art dramatique en dure quatre. Et il est payé le monsieur, hein, quand même, pendant que les victimes s’endettent pour se faire traiter comme des pièces de viande. (Radio-Canada) C’est à pleurer, mais endurer jusqu’au diplôme peut être un choix qui se défend.
L’absence de plaintes n’équivaut pas à un comportement exemplaire. Ça n'entache pas la crédibilité des victimes non plus, soyons clairs. L’inaction des instances démontre en revanche que le bien-être du prof passait avant celui des étudiant.e.s.
D’expérience, puisque les conflits profs-étudiant.e.s comportent toujours un élément académique, les processus internes sont libres d’ignorer l’impact humain et psychologique pour se limiter aux résultats. Une demande de révision de note peut absolument être gérée avec les Règlements universitaires - si on ne regarde que la note.
Mais l’impact des abus, du harcèlement, sur ce résultat? Ça se mesure bien mal.
Alors, la collégialité peut bien être pointée du doigt, sans tout expliquer: elle a peut-être ses vices, mais aussi sa raison d’être quelque part. Gardons aussi en tête qu’un processus de plainte non-académique existait avant l’adoption de la PVCS. Eh oui.
Entre 1991-92 et 2016-17, le traitement des plaintes pour violence à caractère sexuel relevait de la Politique et règlements en matière de harcèlement sexuel et de harcèlement sexiste. (UMoncton) Celle-ci était d’abord pensée pour gérer les situations entre membres du personnel, même si toute personne membre de la communauté universitaire tombait en principe sous sa protection. Quand une plainte était déposée, l’une des premières étapes prévues était de dévoiler l’identité de la personne plaignante à la personne visée. Entre personnes de statut égal, protégées par une convention collective, ça peut sembler inoffensif (mais dissuasif, au minimum) mais les personnes étudiantes n’ont jamais eu ce luxe. Le processus formel durait des mois, pendant lesquels les personnes plaignantes devaient garder la tête bien visible en haut du parapet. Avec pas d’casque.
Au moment d’adopter cette première politique, le recteur faisait la remarque suivante: « Nous sommes dans un climat complètement différent de celui de juin dernier. Le fait que le Conseil ait adopté certains éléments a eu un effet apaisant. La deuxième ronde de consultation s'est faite de façon beaucoup plus sereine. » (UMoncton). Ça donne une idée de l’enthousiasme à éradiquer la violence sexuelle à l’Université de Moncton, hein? Le procès-verbal de la réunion de juin 1991 ne figure étrangement pas aux archives numériques de l’Université, soit dit en passant.
OK, c’est d’une autre époque, mais vous comprenez peut-être mieux pourquoi des victimes ont pu hésiter. Bref, il y avait moyen de sévir contre ce professeur bien avant 2020.
Plusieurs facteurs ont pu changer la donne, à commencer par l’apparition des médias sociaux qui ont nourri la vague de dénonciations en 2020 (Radio-Canada) - aux yeux de l’ancienne politique, ça n’aurait peut-être pas poussé l’Université à agir. Mais les gens ont vu, et la communauté a réagi. Et cette fois, impossible de contrôler le flot d’informations pour préserver la marque de l’institution.
Il en résulte que les témoignages des victimes et témoins, avec l’appui du public, ont contraint les instances à donner crédit aux dénonciations - sans que le tout se transforme en jugement sommaire. Le prof fut suspendu avec salaire au départ. (Radio-Canada) OK, il a bien fallu qu’il y ait quelque part là-dedans au moins UNE plainte officielle récente - parce que processus - mais qui, sans vouloir diminuer son importance, aura été la goutte qui fait déborder le vase. Ça faisait des années que ça dégoûtait au département.
Il faut que l’Université ait réalisé assez tôt que se rabattre sur le silence pour justifier l’inaction - à nouveau - face à de multiples accusations de violence sexuelle, serait défendre l’indéfendable. Dur à croire que, fut un temps, on aurait vu un gain à étouffer l’affaire.
La FÉÉCUM félicite ces personnes qui ont osé dire « ça suffit le silence », que c’est le rôle de l’Université d’appliquer ses propres politiques, et que la première étape est d’écouter les victimes. On se réjouit de ces premiers signes d’une nouvelle ère à l’Université de Moncton, où on ne devrait plus pouvoir douter que « les membres de la communauté universitaire ont le droit de travailler et d’étudier dans un milieu respectueux et dépourvu de toute forme de violence à caractère sexuel. »
Sauf que le silence n’avait quand même pas dit son dernier mot. Mais ça, on s’en reparle.
FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE