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Difficile de voir l’avenir, quand on a la tête dans le sable
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par Raymond Blanchard, agent de recherche de la FÉÉCUM
En septembre dernier, on a décortiqué les propos des médias et de l’Université de Moncton, par la voix de la vice-rectrice aux affaires étudiantes et internationales (VRAÉI) Marie-Linda Lord, sur l’impact combiné de la hausse de 1000$ (OK, 999$) imposée aux étudiants internationaux et du programme de l’Université d’Ottawa qui permet aux étudiants internationaux francophones de payer les mêmes droits de scolarité que les étudiants canadiens.
Bien que critique à l’égard du laxisme sensationnaliste des médias et sceptique envers la réaction de la VRAÉI (FÉÉCUM), on en arrivait à la conclusion suivante :
«Au final, nous sommes contents d’entendre que l’Université de Moncton ne s’inquiète pas, car cela signifie en principe qu’elle a un plan pour continuer d’accueillir davantage d’étudiants internationaux.»
Et ce plan s’est avéré désastreux. Si vous prenez la peine de le lire, vous comprendrez aisément qu’il était condamné d’avance.
Le Plan stratégique de recrutement 2014-2015 (scan du document) a été reçu par le Conseil des gouverneurs (CGV) lors de sa réunion du 6 décembre dernier. Le document étant confidentiel en raison de sa teneur stratégique, seules les pages d’information factuelle ont fuit. Mais quand on dépose un document, bâzwell, c’est qu’il est terminé et si il est terminé c’est qu’il est publiable. Et s’il est publiable, le monde devrait être libre de le consulter.
À plus forte raison que le CGV représente les intérêts de la communauté universitaire : on ne devrait pas pouvoir cacher cette information aux MEMBRES de cette communauté. On ne devrait en fait même jamais SONGER à vous la cacher (puisqu’on siège et parle en VOTRE nom) mais que voulez-vous, la transparence est encore anathème derrière certaines portes de notre campus…
Et dire qu’on pense se faire moins de mal à cacher de l’information qu’à la dévoiler! La vérité est qu’on peut en ressentir une fois, ou deux, les contrecoups d’une information peu flatteuse à notre égard. L’Université a choisi deux, manifestement : une pour le bobo, l’autre pour les doutes sur les intentions derrière son silence.
Les résultats contenus dans ce Plan stratégique parlent d’eux-mêmes. Et ils parlent plutôt mal, surtout pour Marie-Linda Lord.
Vous vous en souviendrez peut-être : dès que l’Université d’Ottawa annonça sa stratégie, et à quelques reprises depuis, l’Université de Moncton fut questionnée sur l’impact prévu ici. Et à chaque fois (stratégie ou hypocrisie?) elle fut rassurante.
Par exemple, en septembre 2014, Marie-Linda Lord nous déclarait au Téléjournal Acadie [à compter de 14 :45] :
«Je peux vous dire que, pour l’instant, non ce n’est certainement pas sur la table [de faire payer aux étudiants internationaux le même montant que les étudiants canadiens]. Nous, nous allons continuer à recevoir plus d’étudiants internationaux encore une fois cette année» (Radio-Canada)
Nous en doutions déjà, à l’époque. Mais poursuivons.
Le sujet étant d’intérêt pour la communauté acadienne, on l’a non seulement vue au Téléjournal du soir, mais on l’a également entendue à l’émission Le Réveil du même matin. Bien qu’elle reconnaisse l’impact de la diminution des nouvelles inscriptions en provenance du N-B, elle persiste et signe [à compter de 8 :18] :
«Ce sera une bonne année […] à l’international, nous allons voir comme les autres années une augmentation du nombre d’étudiants qui vont s’inscrire à l’Université.» (Radio-Canada)
Et dans les faits? Elle s’est trompée sur toute la ligne. Pas que la VRAÉI mentait sur la situation à l’époque, car les données finales de l’inscription ne devaient être connues que deux semaines après son intervention. Cependant, le Plan stratégique s’est avéré d’un optimisme que les faits rendent injustifiable. Que s’est-il donc passé?
Je peine d’ailleurs à comprendre comment elle pouvait déclarer, toujours au Réveil, que « nous au cours des dernières années c’est quatre cent étudiants internationaux que nous accueillons à chaque année, donc [300 nouvelles inscriptions à Ottawa] c’est même en-deçà de ce que nous nous avions au cours des dernières années».
À chaque année? Vraiment? Voyons les «dernières années», selon le Plan :
2010-2011 : 276.
2011-2012 : 262
2012-2013 : 363
2013-2014 : 412
2014-2015 : 250
Et ça, ce sont les chiffres de l’Université. Disons au passage que d’autres chiffres de l’Université les contredisent (UdeM), et qu’ils les contredisent à la baisse, d’ailleurs (on parle de nouvelles admissions ici, et non de nouvelles inscriptions : mais ceux qui sont admis ne sont-ils pas ceux qu’on devrait compter?).
Quatre cent par année ça tient, disons-le, de l’embellissement.
Ce serait bien plutôt trois cent : ce qui n’est pas mal en soi – sauf qu’Ottawa fait déjà ça DÈS LA PREMIÈRE ANNÉE… Mais peut-être pensait-on que si les gens croient que tout le monde vient à Moncton, ils feraient pareil?
Après tout, c’est l’approche déjà bien établie dans son principal bassin de recrutement ici au N-B : «L’Université de Moncton : parce que.»
En tout cas. Ça, ce sera pour une autre fois. Mais j’y reviens.
Dès que la FÉÉCUM apprit l’intention de l’Université d’augmenter de 1000$ les droits de scolarité des étudiants internationaux, elle condamna le fait que «l'Université prend la voie facile en exploitant les seuls étudiants sur lesquelles le Nouveau-Brunswick n'a pas imposé de limites. » (FÉÉCUM). Et à la racine du problème actuel, au-delà du coût – car c’est vrai qu’il demeure compétitif - on décèle la crainte des étudiants internationaux envers les actions futures de l’institution. Quand le président de la FÉÉCUM à l’époque, Kevin Arseneau disait craindre «que les mesures budgétaires de l'Université chassent les nouveaux arrivés vers d'autres villes et institutions», il n’avait pas tort. Ça semble tristement être le cas aujourd’hui.
L’automne suivant, pourtant, l’Université semblait avoir gagné son pari : ce fut une année-record au niveau des nouvelles inscriptions en provenance de l’international : 412. Dès lors, on devait s’attendre à en recevoir 400 nouveaux par année, c’était certain.
Poin poiiiiiiiin. Non.
C’est que les arrangements étant déjà faits pour ces étudiants, il eut été difficile de faire demi-tour et de s’inscrire ailleurs : il était tout simplement trop tard.
Alors ils sont venus quand même; je serais curieux de savoir combien sont revenus cette année? L’Association des étudiants internationaux disait également peu après que « L’Université n’a pas pensé à l’impact sur la rétention d’étudiants déjà ici, ni sur les familles qui ont des fils et des filles à Moncton. » (FÉÉCUM). Et il connaissent bien la réalité : c’est la LEUR, bout d’ciarge. Donc, la réputation de l’Université, si chère à l’Université et si chèrement défendue dans les médias par la VRAÉI, souffrira possiblement à plus long terme. Ce sont eux, les étudiants internationaux, qui sont nos ambassadeurs, plus encore que les agents de recrutement. On a besoin d’eux.
Et comment on les traite?
La réaction de l’Université à la marche silencieuse tenue en protestation de la hausse de 1000$ nous en a dit long sur la situation : on barre les portes et on se tait (FÉÉCUM). Très constructif. Bel effort. Le moins qu’on aurait pu faire, c’est preuve de bonne foi.
Ce qui fait que, lorsque Marie-Linda Lord nous dit :
« Nous en sommes des fois à la deuxième, voire même la troisième génération d’étudiants africains qui viennent, parce que leurs parents sont venus, leur oncle, leur tante, donc le mot, la bonne réputation de l’Université de Moncton il est vraiment bien présent [sic] en Afrique.»
On a l’amère impression, comme c’est le cas pour l’Acadie du Nouveau-Brunswick, que l’Université de Moncton tient pour acquis que les gens vont tout simplement s’amener ici sans chercher s’il y a mieux ailleurs. Il FAUT, répétons-le, il faut absolument cesser de blâmer passivement la démographie et commencer à se demander, sérieusement, comment on va améliorer l’expérience étudiante à Moncton, pour que les gens d’ici comme d’ailleurs aient une raison de s’amener ici.
Parce qu’on se le demande : c’est quoi, maintenant, Moncton? À quoi elle tient, cette réputation, dernier bastion de notre crédibilité? Pourquoi ici? Pourquoi rester?
Car à ce rythme et avec ces méthodes, combien de temps cette réputation va persister? Va-t-elle, peut-elle, doit-elle suffire…? Et avec une attitude du genre de celles qui font dire qu’à Ottawa «ils ont une réputation à se bâtir au sein de l’Afrique de l’ouest, nous on est déjà en vitesse de croisière à l’Université, là-bas en Afrique», alors là on se demande vraiment ce qu’auront à dire les cousins, les tantes et les oncles quand on leur demandera ce qu’ils en pensent, de l’Université de Moncton.
Et ce ne sera pas mieux après la prochaine hausse. Ni celle d’après; ni tant qu’il n’y aura pas un geste concret posé par l’administration pour soulager le fardeau financier qui pèse plus lourd d’année en année sur les étudiants, et tout particulièrement les étudiants internationaux.
Comprenez que la FÉÉCUM sans l’Université de Moncton, n’est rien non plus : on tient à notre institution. On l’aime. Et on a peur, réellement peur de ce qui s’en vient avec le manque de vision dont on a une nouvelle fois la preuve aujourd’hui.
Vous qui avez le pouvoir de faire une différence : agissez. Sortez la tête du sable.